Vers une industrie durable ! Une nouvelle mine d’or en France ?

La France n’est plus un grand pays minier… mais elle pourrait le redevenir…
Certains métaux sont stratégiques pour notre économie mais seule une très faible quantité est extraite de notre sol et nous devons en importer la majeure partie. Pourtant, lorsqu’un pays dispose sur son sol de cette richesse, cela peut lui procurer un immense avantage économique s’il développe une « stratégie de remontée de la chaîne de valeur ».

15 février 2021

Remonter la chaîne de valeur

Prenons l’exemple d’un Picasso. Qui se soucie du coût de l’ingrédient « peinture » lorsqu’il contemple un Picasso ? Personne… ! Car tout le monde comprend que la valeur finale du tableau est infiniment supérieure à celle de ses ingrédients de base… Par contre, pour que Picasso peigne ses tableaux, il fallait qu’il soit approvisionné en permanence avec de la peinture de qualité…

Depuis plusieurs décennies, la Chine a appliqué une brillante stratégie de remontée de la chaîne de valeur. D’abord producteur minier, elle a ensuite développé le marché des aimants, puis celui des batteries, multipliant par 10 sa valeur ajoutée. Elle s’est ensuite intéressée au marché des composants électroniques, multipliant à nouveau cette valeur ajoutée par 10, et enfin au marché des équipementiers, avec à nouveau un facteur 10, passant ainsi de 4 à 4000 milliards de dollars de manne annuelle, soit 2 fois le PIB de la France(1) !

La France pourrait-elle faire de même ? Cette idée peut paraître stupide puisque les métaux stratégiques en question sont très peu présents dans le sous-sol de notre pays ! Mais nous avons une « mine d’or cachée » : l’abondante quantité de métaux contenus dans les déchets miniers ou industriels et les produits en fin de vie qui s’accumulent dans nos décharges !

Nous sommes donc aussi, d’une certaine façon, un grand pays minier, mais c’est de ressources « secondaires » dont il s’agit !

Sortir de la naïveté en matière de recyclage pour construire une industrie durable…

#EtAprès… Ce hastag est depuis quelques mois sur tous les réseaux sociaux. A l’occasion de la crise du coronavirus ou COVID-19, la prise de conscience est générale sur l’inquiétante incapacité de l’Europe à produire sur son territoire des biens indispensables pour la santé publique. Notre ultra dépendance s’est révélée être un handicap majeur. Ainsi, sous ce hastag, beaucoup d’articles se focalisent sur la relocalisation industrielle et sur la nécessité de rapprocher les lieux de production des lieux de consommation.

Mais cette industrie relocalisée doit être durable. Face à des méga-complexes industriels dont l’avantage compétitif repose sur des séries longues, elle doit être capable de produire avec agilité des séries courtes, facilement ajustables, proche du consommateur et avec une écoute client permanente.

Par contre, en quoi serait-elle « durable » si elle restait totalement dépendante de ressources issues de pays miniers (avec une empreinte écologique non négligeable) alors que nous laissons s’entasser dans nos décharges des produits en fin de vie bourrés de métaux stratégiques perdus à jamais ? il faut donc développer une stratégie ambitieuse de recyclage au niveau national et européen !

Sur un tel sujet, nous devons éviter la naïveté qui consisterait à laisser faire les seules forces du marché dans le domaine du recyclage des métaux stratégiques. C’est pourtant ce qui se produit à l’heure actuelle… Les métaux extraits de nos mines urbaines sont en concurrence directe avec ceux produits en Chine ou dans d’autres pays miniers. De plus, la plupart du temps ces métaux sont renvoyés en Asie à faible coût pour être réimporter ensuite sous forme de produits manufacturés à forte valeur ajoutée !

L’impérieux besoin d’une politique de recyclage proactive !

L’industrie durable relocalisée doit permettre de produire à nouveau des biens à forte valeur ajoutée sur notre territoire. Mais si nous ramenons Picasso à la maison, nous ne devons pas le laisser entièrement dépendant d’autres puissances pour la peinture dont il a besoin !
C’est donc bien une notion de filières qu’il faut développer ; filières qui permettraient non seulement une réindustrialisation de nos territoires, mais aussi une importante création de richesse.

Ainsi, la France doit renforcer la proactivité de sa politique en matière de métaux stratégiques. La feuille de route française pour l’économie circulaire (FREC)(2) et le Contrat Stratégique de Filière (CSF) Mines et Métallurgie(3) proposent plusieurs pistes à même de développer cette politique.

Dans ce but, il faut aller vers la mutualisation des ressources et si possible des moyens de production au service d’une filière. Plutôt que chaque acteur construise de petites unités dédiées à un seul produit à recycler, il serait préférable de disposer d’usines les plus flexibles possibles. Ces usines pourront s’adapter à la variabilité des flux entrants en termes de forme physique et composition chimique (déchets miniers ou industriels, déchets issus de produits en fin de vie…).

L’exemple le plus classique en « économie circulaire », nécessaire à la transition énergétique, est de développer la filière intégrée de recyclage des batteries lithium. Dans cet exemple, lithium, cobalt, manganèse, nickel, graphite sont la peinture et le tableau de Picasso, la batterie…

Il ne faut toutefois pas négliger le coût environnemental du recyclage. Le recyclage nécessite de la collecte, du transport, du démontage, des traitements mécaniques, chimiques et thermiques et de l’énergie, notamment s’il faut revenir à la matière première pure. A chaque étape, il est nécessaire d’optimiser les procédés utilisés. C’est le prix à payer pour que cette activité soit compatible avec les standards environnementaux européens !

Enfin, cette stratégie de filière doit reposer la question du mécanisme de fixation du prix. Il est nécessaire que les prix des métaux stratégiques recyclés soient fixés en fonction de leur contribution à la création d’une industrie durable relocalisée et en fonction de la valeur ajoutée créé en aval. Ne lésinons pas sur le coût de la peinture quand il s’agit de peindre du Picasso !

Pour boucler la boucle… de l’économie circulaire…

Au final, c’est bien d’économie circulaire dont il s’agit. Et tous les leviers doivent être activés pour réduire notre dépendance en matière de métaux stratégiques.
Cette stratégie ambitieuse passe par un recensement de ces ressources, une sécurisation de ces stocks, le développement d’un réseau industriel flexible et agile permettant d’extraire les matières stratégiques et de les utiliser nous-mêmes jusqu’à la production de valeur ajoutée, et ce en tenant compte de notre écosystème socio-économique.

Elle passe enfin par la symbiose industrielle qui consiste à « renforcer les synergies entre entreprises » (écologie industrielle et territoriale).
Notre pays dispose de tous les atouts pour que la question des métaux stratégiques devienne un exemple emblématique de la Feuille de Route Economie Circulaire (FREC) que la France a adoptée !

#Etaprès… Soyons proactif !

Auteurs : Stéphane Bourg, Yannick Gomez, Thibaud Delahaye

Références :
(1) – Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares: La face cachée de
la transition énergétique et numérique, Edition Les liens qui
libèrent, Paris, 2018. ISBN-13 : 979-1020905741
(2) – https://www.ecologie.gouv.fr/feuille-route-economie-circulaire-frec
(3) – http://www.mineralinfo.fr/actualites/csf-mines-metallurgie-feuille-route-ambitieuse-hauteur-enjeux-filiere